Hier, jeudi 3 décembre, c’était la journée mondiale des personnes handicapées. C’est un reportage, sur le handicap et l’accès au travail, à la radio hambourgeoise NDR qui me l’a appris. Elle existe depuis 1992 mais je n’en avais jamais entendu parler auparavant. Cette idée d’article, je l’ai depuis des mois, je l’ai écrit et réécrit dans mes pensées mais je n’étais pas allée plus loin. J’avais lu avec grand intérêt des articles à propos de la difficile prise en charge d’enfants porteurs de handicap, de l’incompatibilité d’emplois du temps entre un travail ou un projet de reconversion et l’accompagnement à l’école et aux rendez-vous médicaux de ses enfants.
Il y a quelques mois, j’ai lu un article qui m’a à la fois énervée et mise mal à l’aise. Je n’ai plus la référence, c’était un article dans une revue parentale allemande, j’ai dû la consulter dans une salle d’attente. Dans cette interview, une famille britannique parlait de leur vie au quotidien avec leurs deux filles, la seconde ayant une maladie génétique rare lui provoquant des troubles cardiaques et un retard intellectuel assez fort.
Présentés par de belles photographies d’un intérieur parfaitement rangé et de deux jolies petites filles, on voyait des parents épanouis expliquant à quel point la maladie et le handicap de leur fille avait été une révélation, une révolution même de leur quotidien. Par conséquent, ils présentaient son handicap comme une chance, l’élément les ayant fait prendre conscience de leur bonheur. Le journaliste finissait son interview en leur demandant si, par magie, ils pouvaient voir un de leurs vœux exaucés, s’ils demanderaient que leur fille ne soit pas porteuse de cette maladie. Leur réponse était que non, malgré les hospitalisations et les complications, ils souhaiteraient que leur fille reste porteuse de cette maladie.
Je me suis demandée à quoi servait cet article. Y a-t-il réellement des parents qui voient le handicap de leur enfant comme une chance ? Est-ce un point de vue que l’on a plusieurs années après le diagnostic ? Une fois que l’on a fait son deuil de l’enfant rêvé ? Ce genre d’articles ne dessert-il pas le combat des parents d’enfants différents en présentant cette épreuve de la vie comme une chance ? Tant que l’on n’est pas concerné directement par le handicap, on ne peut que soupçonner ce que cela représente au quotidien d’être parent d’un enfant différent.
Avant la naissance de notre petite, j’avais la naïveté des parents d’enfants en bonne santé. Je ne me suis jamais demandée si mes aînés réussiraient un jour à apprendre à lire et combien de temps cela leur prendrait, je ne me suis pas non plus demandée qui s’occuperait d’eux quand ils seront âgés ni si leur scolarité sera possible dans l’école que nous envisagions. Au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient de la toute petite enfance, le quotidien se simplifiait. Couper les ongles n’était plus un moment délicat, mettre ses nouvelles chaussures non plus.
La vie quotidienne de parents et de fratrie d’enfants différents est compliquée. Aux soucis habituels se rajoutent ceux de découvrir et comprendre des démarches officielles parfois kafkaïennes, les multiples rendez-vous médicaux et thérapeutiques, la nécessité de se battre pour obtenir la meilleure prise en charge pour son enfant, d’argumenter, de justifier et de devoir mettre en avant tous ses points faibles, tout ce qu’il n’arrive pas encore à faire. Pour les frères et sœurs, c’est devoir être patient et compréhensif, renoncer à certaines sorties ou activités parce que ce n’est pas gérable avec l’emploi du temps chargé des parents. Mes enfants sont encore petits mais comment réagiront leurs camarades quand ils seront ados ? Devront-ils défendre leur petite soeur face à des moqueries liées à sa différence ?
Non, la maladie génétique n’a pas été pour moi l’occasion de me découvrir, de changer de rythme, de me révéler à moi-même. Elle a été celle de renoncements personnels qui me sont douloureux : je ne me lancerai pas dans un projet de reconversion, je ne rentrerai jamais vivre en France. Je pourrai peut-être seulement y passer de plus longues périodes quand je serai retraitée. Mais la retraite est dans combien d’années ? Vingt-cinq ?
Être parent d’un enfant différent m’a juste permis de mieux comprendre les autres parents d’enfants différents, et notamment d’appréhender pourquoi certains parents refusent de voir la réalité, refusent d’accepter un diagnostic, probablement par réflexe d’auto-protection face à une réalité trop difficile.
Même si nous vivons actuellement une période d’accalmie, d’ici un an et demi, la petite quittera la crèche et il nous faudra trouver l’école la plus adaptée à sa situation, se battre pour lui permettre d’y aller dans les meilleures conditions. Le handicap coûte aussi très cher aux parents, entre la réduction du temps de travail voire la démission d’un des parents pour prendre en charge l’enfant et les tarifs pratiqués par certains cabinets. La bonne prise en charge de l’enfant se fait souvent aux dépens de la carrière d’un des deux parents (la mère en règle générale) voire de la stabilité du couple.
Le récit de nos démarches et recours entre janvier et juillet 2022 pour obtenir le droit pour notre fille de rester un an de plus en Vorschule (équivalent grande section de maternelle) :
- Sans pause ! (mars 2022),
- Toujours pas de pause ! (avril 2022),
- Attendre… se battre ! (juin 2022),
- Epilogue doux-amer (août 2022)
Alors oui, si demain, une fée m’accordait un vœu, ce serait celui que ma fille n’ait pas sa maladie génétique.
Photographie de couverture : vue sur La Charité-sur-Loire (Nièvre) depuis les remparts
Difficile de commenter ton article parce que je n’ai pas d’enfants souffrant d’un handicap. Je trouve tes mots très justes en tout cas. Le renoncement, l’inquiétude, l’angoisse doivent être démultipliés dans de telles circonstances. Respect à tous les parents qui affrontent cela.
Merci beaucoup pour ton soutien ! Nous avons eu une première année très difficile et progressivement, la situation se simplifie mais la prochaine grande étape (et difficulté) sera le passage à l’école.
Mais je ne comprends pas les parents qui ne voudraient pas que leur enfant ne soit pas différent….
J’ai une petite soeur différente. Atteinte du syndrome de RETT. C’est très lourd. Et je pense que si mes parents avaient eu le choix, ils auraient voulu pour elle, une autre vie et une vie meilleure.
Leur vie a été comme toi, faite de renonciations. Et aujourd’hui encore, même si elle vit dans un institut à l’étranger….
Certes vivre avec un enfant « différent » nous fait avancer et réfléchir…. Mais au quotidien c’est difficile.
Je ne comprends pas non plus. Le syndrome de Rett, c’est lourd en effet, d’autant plus parce que c’est une maladie dégénérative, non ?
Merci beaucoup pour ton message !
On se peut pas rester insensible a ce tres beau texte…
Ce sont ces temoignages comme le tien qui font avancer les choses, pas des articles dans des journeaux Disney..
Un de mes enfants est dyspraxique et je me suis apercue que la qualite des soins en Allemagne peut etre aussi bien excellente que nulle. C’est un parcours du combattant pour comprendre a qui s’adresser et il faut s’armer de patience pour obtenir les rdv avec les bons specialistes et avoir acces a la meilleure prise en charge. Les places sont toujours limitees, il faut jouer des coudes. En gros, les moyens sont la, les specialistes sont la. Mais ca prend beaucoup de temps et parfois on a l’impression de tourner en rond pour mettre en place le suivi adapte et faire valoir ses droits.
Donc, pour en avoir eu un leger apercu, je peux comprendre que cette facette administrative soit epuisante dans ton quotidien pour un enfant qui necessite une prise en charge lourde.
Merci beaucoup pour ton commentaire !
Il n’y a pas d’interlocuteur unique pour toute la paperasserie à remplir. Nous devons refaire faire son Kita-Gutschein et il faut que la crèche leur envoie un compte-rendu. C’est génétique, ses problèmes n’ont pas disparu. Mais il leur faut un compte-rendu détaillé pour pouvoir renouveler son statut d’I-Kind…
Bon courage à ton enfant dyspraxique et à toi et au reste de la famille !
Que dire de plus que c’est un très beau texte!
Tu participe à nous expliquer de quoi est faire la vie d’une famille telle que la tienne
Les questions pour l’avenir, toujours réfléchir à la meilleure prise en charge
Pas facile de concilier handicap et ton travail
La fratie est bouleversée aussi mais sait ce qu’est le partage
Merci beaucoup pour tes commentaires si réguliers !
Les trois sont très proches et jouent beaucoup ensemble. Le grand l’interroge sur les parties du corps, la cadette lui fait faire des puzzles, etc. Ils sont vraiment mignons mais c’est vrai qu’ils ont connu des moments difficiles aussi.
Je comprends tout à fait ce que tu veux dire. C’est une vie de renoncements par amour pour son enfant, de combats incessants, de déconvenues. Mais je comprends également ceux qui essayent de trouver un sens à cette épreuve. Je me dis qu’il y a la vitrine de ce qu’ils montrent, et la réalité de ce qu’ils vivent. Et également, la manière dont on les présente et transforme leur quotidien en exemple, indépendamment de leur volonté parfois.
Tout à l’heure je lisais le blog de Sophie Lutz, qui a une fille (adulte maintenant) handicapée. Elle est présentée dans le milieu catho comme la mère parfaite qui vit cela « tellement bien »… Et quand tu lis ce qu’elle écrit en tant que mère, tu constates que ce n’est pas si idéalisé à ses propres yeux. C’est pourquoi souvent je ne crois que ce que les gens écrivent eux-mêmes.
Je ne connaissais pas Sophie Lutz, je suis allée regarder son blog, c’est intéressant. Je pense aussi qu’on vit le handicap un peu différemment quand on a la foi mais les angoisses et les difficultés du quotidien restent les mêmes.
Merci beaucoup pour ton message !
Je t’ai lue avec émotion et intérêt sur un sujet que je connais peu et appréhende mal. Ton ressenti me paraît tellement logique, et je ne peux qu’entrevoir les difficultés qui sont et seront les vôtres. C’est très important de s’exprimer sur ce sujet et que ce soient les premiers concernés qui en parlent.
Merci beaucoup pour ton commentaire ! Même si je m’exprime peu sur la maladie de notre fille, c’est important pour moi de transmettre ici un peu de notre quotidien et de mes réflexions.
Bonsoir
J’ai lu ce texte avec émotion et je comprends que les moindres difficultés doivent être multipliées par 1 000 avec un enfant porteur d’handicap . Je vous souhaite beaucoup de courage à vous et votre famille.
Je me demandais , en tant que proche , que peut on faire pour soulager des parents dont un enfant est porteur d’handicap ?
Bonjour,
Merci beaucoup de m’avoir laissé ce gentil message !
Pour vos proches, peut-être leur dire que vous êtes là s’ils ont besoin, que ça soit pour un soutien ou une aide pratique. Si c’est possible, vous pouvez peut-être garder l’enfant un soir (quand le covid nous laissera plus de libertés) pour que les parents puissent aller au restau, proposer d’emmener l’enfant à une activité qui lui plairait (zoo, concert ?) ou alors offrir un bon pour des heures de ménage ou la livraison de repas presque prêts (j’ai déjà vu ça sur internet, on reçoit un carton avec tous les ingrédients préparés et il n’y a plus qu’à faire cuire), etc.
Même si je ne peux pas me mettre à ta place, je comprends tout à fait ce que tu dis et tu fais preuve d’une sincérité que peu oseraient exprimer par risque d’être jugés. Avoir un enfant porteur de handicap fait basculer sa propre vie et pas seulement les premières années.
Merci beaucoup pour ton message ! La vie change quand on a un enfant, elle change encore plus quand l’enfant est porteur d’une maladie, quelle qu’elle soit.
Ton billet est particulièrement touchant, merci de partager cela avec nous.
J’ai la chance d’avoir un enfant en bonne santé, je ne peux donc que très difficilement avoir un avis sur le thème que tu abordes.
Je comprends tout à fait ton point de vu, mais, comme Marie du blog PRGR le souligne, je crois aussi que certaines personnes ont besoin de donner un sens à leurs épreuves.
Je fais parti des gens qui ont la foi et qui pensent que toutes les épreuves que l’on traversent sont là pour une bonne raison. Mais encore une fois, je ne sais pas du tout comment j’aurais réagi face à cette épreuve… nos principes et croyances peuvent facilement se faire la malle quand on est confronté à de si grandes difficultés.
Merci beaucoup pour ton commentaire !
Avoir la foi aide probablement à accepter l’épreuve et à lui donner un sens. Mais je suis agnostique alors je ne le ressens pas ainsi. En tout cas, nous avons la chance d’être bien entourés par nos familles et nos amis et j’ai aussi trouvé ici, sur le blog, du soutien et de l’aide. Merci.
J’ai tardé à mettre un commentaire sur ce texte si juste, si bien analysé parce que nous vivons ce quotidien douloureux. Je dis nous mais nous ne sommes que gds parents. Les années passent mais la colère devant cette injustice ressurgit toujours dès que ce sujet rouvre une plaie jamais fermée. Il faut savoir que les parents ne savent pas ce qu’est une sortie en couple pendant des années. La maman qui doit rester au foyer. J’ai entendu aussi le discours de ces mères et je me dis qu’elles ne seront plus là quand leur enfant sera adulte. Il n’y a pas que la souffrance physique chez les enfants.
Bonjour Simone,
Je ne savais pas pour l’un de vos petits-enfants. C’est tellement douloureux et injuste. On apprend à gérer ces sentiments au fil des ans mais, comme vous le dites si bien, la plaie n’est jamais fermée.
A bientôt et bon courage à votre famille !
Ton témoignage est important, il faut oser dire que c’est difficile et qu’on aimerait que les choses soient autrement. Et ça n’enlève rien de ton amour pour ta fille. Et si certaines personnes le vivent eux, comme une chance, alors tant mieux pour elles.
Exactement, ce n’est pas moins aimer son enfant que de dire qu’on aurait aimé que celui-ci ne souffre pas d’une maladie incurable !