Il y a 50 ans, le 7 décembre 1970, a eu lieu à Varsovie un événement fondamental dans les relations germano-polonaises, et même pour l’avenir de la paix en Europe.
Qui voit-on dans cette vidéo ? Willy Brandt, le chancelier de la République Fédérale d’Allemagne (RFA), est en voyage officiel en Pologne pour signer le Traité de Varsovie entre la République populaire de Pologne et la RFA. Par ce traité, la RFA reconnaît la ligne Oder-Neisse (Oder-Neiße-Grenze) comme frontière occidentale de la Pologne et renonce donc à toute revendication sur les anciens territoires prussiens de Prusse orientale, de Poméranie et de Silésie (zones en jaune sur la carte). La ligne Oder-Neisse suit globalement deux cours d’eau (l’Oder et la Neisse) pour déterminer la frontière entre la République Démocratique Allemande (RDA) et la Pologne.
Or, comme on le voit sur cette carte, la RFA n’a aucune frontière commune avec la Pologne, celle-ci étant frontalière de la RDA, en vert sur la carte. La ligne Oder-Neisse avait été reconnue par la RDA en 1950 lors des accords de Görlitz mais pas par la RFA, ce qui pesait sur les relations diplomatiques entre ces deux pays. Willy Brandt, dans le cadre de la Neue Ostpolitik, veut améliorer et normaliser les relations de la RFA avec la RDA, l’URSS et les autres pays du bloc soviétique. Le Traité de Varsovie en est une des manifestations principales. Cette Neue Ostpolitik lui vaudra même le prix Nobel de la Paix en 1971.
Le 7 décembre 1970, Willy Brandt est donc à Varsovie, accueilli assez froidement par Józef Cyrankiewicz, le président du Conseil d’Etat polonais. Ce dernier a en effet été un résistant à l’occupation nazie de la Pologne et a même été déporté à Auschwitz. Brandt a été un opposant au nazisme dès 1933 et a participé à l’organisation de la résistance socialiste allemande depuis la Norvège. Déchu en 1938 de la nationalité allemande, il devient norvégien mais doit fuir en Suède en 1940 après l’invasion allemande de la Norvège. Il rentre en Allemagne en 1945 et récupère la nationalité allemande en 1948. Il est maire de Berlin-Ouest de 1957 à 1966 et devient chancelier de la RFA de 1969 à 1974.
Mais l’événement le plus important du 7 décembre 1970 est l’agenouillement de Willy Brandt devant le Monument aux héros du ghetto. Il commémore le soulèvement armé du ghetto de Varsovie entre le 19 avril et le 16 mai 1943 pendant lequel quelques centaines de combattants juifs réussirent à tenir en échec les soldats allemands avant le dynamitage de la Grande Synagogue et la destruction finale du ghetto. Willy Brandt, dans un geste qui n’était pas prévu, s’agenouille après avoir déposé une gerbe au nom de la RFA. Ces quelques instants de recueillement marquent profondément les esprits. Ce geste symbolique est, de plus, celui d’un Allemand qui demande pardon au nom de son peuple alors qu’il a lui-même toujours été un opposant au nazisme.
En Allemagne, l’agenouillement est critiqué par la presse conservatrice dans le cadre de l’Ostpolitik, assez peu pour le geste en lui-même. En Pologne, la réaction du gouvernement polonais est beaucoup plus froide. Il n’est mentionné dans aucun discours officiel et les photographies sont même recadrées avant d’être publiées. Ce geste contredit en effet la propagande officielle de l’Allemand revanchard et dangereux et l’antisémitisme plus ou moins assumé du gouvernement polonais. Mais, dans la population polonaise, l’agenouillement du chancelier Brand est perçu de façon très positive.
Vous connaissiez ce geste de Willy Brandt ?
Petite précision ! En 2020, des pièces de 2€ ont été frappées en Allemagne pour commémorer l’agenouillement de Willy Brandt. Plus d’informations en allemand et en anglais sur le site de la Bundesbank.
Source de la photographie de couverture : Deutsche Welle
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Non! Et grâce à toi je me coucherai encore une fois moins bête!
Contente d’avoir apporté ma petite pierre allemande à ta culture historique ! 😉
Merci pour ce petit cours d’histoire !
Oui, j’étais encore au lycée et ce geste m’avait beaucoup impressionnée et marquée ! Tant de choses ont changé depuis…
En préparant l’article, j’ai lu qu’en 1970, les jeunes Allemands avaient été le groupe qui avait le plus approuvé le geste, suivi par les Allemands les plus âgés.
Je t’en prie, j’ai une vraie passion pour l’histoire qui a commencé quand j’avais dix ans.
Tu me renvoies direct à mes cours d’histoire !! mais je ne connaissais pas du tout cette histoire. Merci 🙂
C’est mon côté historienne passionnée. 😉
Coucou,
Non, je ne connaissais pas ce geste et heureuse d’avoir pris un cours d’histoire et d’humilité avec toi
Ce geste a du rester étouffé de par et d’autre
La reconnaissance qu’ a voulu apporter Willy Brandt a du en gêner quelques uns….
Coucou,
Le geste de Willy Brandt est globalement resté sous silence en Pologne car il contredisait la propagande anti-allemande et antisémite du gouvernement polonais. En Allemagne, son geste a été très apprécié par les jeunes Allemands et les générations plus âgées, moins par ceux entre les deux.
Je suis une passionnée de cette période donc je connaissais (petit ami de jeunesse allemand, tout ça tout ça) mais j’adore lire tes récits historiques, ça me replonge dans mes souvenirs, quand j’étais sur les bancs de la fac.
Contente de savoir que tu aimes retrouver tes cours d’histoire grâce à mes articles un peu plus historiques ! Quant à moi, cet article m’a donné envie de retourner en Pologne.
Je ne connaissais pas ce geste, très beau effectivement ! Merci pour ce petit cours d’histoire 🙂
D’autant plus qu’il a été fait par un homme qui a toujours combattu le nazisme et a été un résistant des premières heures !
Non je ne le savais pas. Merci pour ce cours d’histoire et de culture générale.
Avec plaisir ! C’est un moment important de l’histoire européenne mais souvent oublié.
Une main tendue vers le noeud de la gerbe funebre. Deux, trois pas en arriere, un temps d’arret. Puis soudainement, le chancelier tombe a genoux, pendant quelques secondes qui paraissent interminables, les yeux baisses. Autour de lui, un silence etonne. Aucun protocole n’avait prevu cela. Willy Brandt s’agenouillant devant le memorial des victimes du ghetto de Varsovie. Cinquante ans apres, sa photo nous touche encore. Plus tard, il ecrivit : « Au bord de l’abime de l’histoire allemande et sous le poids des millions d’hommes et de femmes assassines, je fis ce que font les hommes lorsque les mots leur manquent ».
Willy Brandt a expliqué, en effet, que c’était un geste spontané et qui n’avait aucunement été prévu dans la visite. Un geste simple mais d’une portée immense !