J’entends cette phrase régulièrement à propos de mes enfants. En effet, les deux grands parlent bien français et allemand et le grand lit et écrit dans les deux langues. Il était pour moi inconcevable de ne pas transmettre ma langue à mes enfants, que ça soit à l’écrit ou à l’oral. Apprendre une langue étrangère à l’adolescence ou à l’âge adulte ne permettra pas d’atteindre le même niveau qu’un apprentissage précoce et simultané de deux langues différentes, il restera toujours au moins un petit accent étranger.
J’ai rencontré à plusieurs reprises des personnes, tristes et déçues de ne pas bien parler voire de ne pas parler du tout une langue qui devrait être l’une de leurs langues maternelles. C’est vraiment dommage d’un point de vue personnel car il est plus compliqué de créer un lien fort avec sa famille quand on ne parle pas la même langue que celle-ci et d’un point de vue professionnel aussi, le bilinguisme étant valorisé (surtout, il est vrai, quand il concerne des langues parlées par un grand nombre de locuteurs).
Comment faire pour transmettre sa langue quand celle-ci est différente de celle de son conjoint et n’est pas parlée dans le pays où l’on est installé ?
- Le point le plus important est pour moi la volonté des deux parents d’élever leurs enfants de façon bilingue. L’idéal est que les deux parents parlent les deux langues afin d’éviter que la langue majoritaire dans la société le soit aussi dans la famille. Si le parent local ne parle pas couramment la langue de sa compagne (soyons réalistes, ce sont plus souvent les femmes que les hommes qui s’installent dans le pays de leur compagnon), il faut au moins qu’il montre de l’intérêt et la volonté de l’apprendre.
- Il est important de toujours parler sa langue maternelle à son enfant, que les personnes présentes autour la comprennent ou pas. J’ai eu des remarques négatives mais je n’ai pas cédé. Si je commence à parler en allemand à mes enfants dès qu’il y a quelqu’un à proximité qui ne parle pas français, je ne risque pas de leur parler souvent en français. Il faut s’y tenir, malgré les remarques et les critiques. Quand nous avons des invités qui ne parlent pas français, je parle en français à mes enfants et je traduis ensuite mes propos en allemand.
- Toutes les langues sont importantes, que ça soit une langue avec des millions de locuteurs natifs ou qu’elle soit parlée par seulement quelques centaines de milliers de personnes habitant dans un seul pays.
- C’est bien d’utiliser tous les supports (livres, bandes dessinées, CD, chansons, dessins animés, films, etc.) pour compléter la pratique orale et préparer progressivement l’apprentissage de la langue écrite.
- Contrairement à ce que l’on peut encore entendre, ce n’est pas trop pour un enfant et il ne faut surtout pas attendre que l’apprentissage de la première langue soit bien avancé pour introduire la seconde. Le bilinguisme précoce (apprentissage simultané) est la meilleure chance d’accéder à un bilinguisme équilibré. Dans de nombreux pays du monde, la norme est de comprendre et de parler deux (voire plus) langues différentes. Mes enfants ont même appris une troisième langue grâce à la crèche. Ils en avaient une bonne connaissance passive, c’est-à-dire qu’ils comprenaient mais répondaient davantage en allemand. Cette troisième langue, même oubliée ensuite, aura été positive pour l’entraînement à entendre et distinguer des sons n’existant pas dans leurs langues maternelles et pour préparer leur cerveau à apprendre et intégrer ensuite d’autres langues pendant leur scolarité.
- L’idéal est d’assurer un contact régulier avec d’autres locuteurs de la langue minoritaire (famille, amis, association, communauté d’expatriés, église, etc.) et il est important que les représentants de la langue minoritaire la parle aux enfants, même si ces derniers semblent plus à l’aise dans leur langue majoritaire.
- A partir de la rentrée dans l’équivalent du CP, on peut travailler l’écrit. Les cahiers de vacances, des livres de français ou des cours par correspondance (comme le CNED par exemple) peuvent être un bon support. Il est tout à fait possible d’apprendre à lire et à écrire dans deux langues. Une amie franco-grecque m’a raconté sa frustration d’être illettrée en grec quand elle passait des vacances dans sa famille paternelle. Avoir 12 ans et être incapable de lire un panneau l’a tellement frustrée qu’elle a réussi à apprendre seule à lire et à écrire le grec en comparant les bandes dessinées d’Astérix et Obélix en français et en grec !
- Quand l’enfant grandit, il est très important de développer son vocabulaire dans des domaines autres que celui de la vie quotidienne. N’hésitez pas à acheter des livres sur les thèmes qui passionnent les enfants (astronomie, dinosaures, histoire, volcans, corps humain, avions, etc.). Des ouvrages, même avec un vocabulaire exigeant, seront une vraie motivation pour en apprendre plus sur leurs passions… et élargir leur vocabulaire en français.
- Quand ils sont un peu plus grands, il peut être utile d’embaucher un professeur ou d’inscrire les enfants dans une association proposant des cours de français pour éviter les tensions qui apparaissent parfois à force de devoir travailler le français en plus des devoirs pour l’école. Les vacances en France peuvent être l’occasion d’inscrire les enfants à des cours de sport, des ateliers de musée, des colonies de vacances, etc. Entourés d’enfants francophones, ils auront envie de communiquer et d’apprendre avec les autres.
- La question de laisser les enfants répondre dans la langue majoritaire est épineuse. On trouve des réponses opposées. Pour ma part, j’ai repris mes enfants en reformulant leurs phrases en français quand ils me parlaient en allemand. Je fais aussi semblant de ne pas toujours bien comprendre l’allemand, mon aîné n’est pas dupe, ma cadette semble le croire, même si elle m’entend parler allemand tous les jours…
Et vous ? Quelle est votre expérience de transmission de votre langue ou d’une autre langue à votre enfant ? Comment faites-vous ?
Merci pour cet article. Je trouve vraiment intéressant de lire une autre expérience détaillée ans le domaine du plurilinguisme car je me pose beaucoup de questions.
Mes enfants ne sont pas bilingues mais trilingues. Mon fils a développé simultanément le français et le hongrois. Il est arrivé en Allemagne à l’âge de 4, 5 ans. Il lui a fallu 2 ans pour maîtriser l’allemand. Aujourd’hui à 7 ans, il est complètement trilingue. Ma fille développe simultanément les 3 langues car elle n’avait que 3 mois lorsqu’elle est arrivée ici.
Ce qui m’agace énormément, ce sont les réflexions au quotidien en Allemagne à ce sujet. Très vite, on nous a « conseillé » de ne parler qu’allemand et beaucoup de personnes (voisins, amis, école) se sont montrées très réprobatrice devant l’usage de 3 (4 langues car mon mari et moi parlons anglais entre nous) au quotidien. Je sens les allemands très frileux à ce sujet. J’ai remarqué que les autres parents n’aiment pas trop lorsqu’on ne s’adresse pas en allemand à notre enfant en leur présence. Je n’ai pas ressenti ça en Hongrie ou en France où au contraire les gens se montrent davantage curieux et intéressés. Je ne sais pas si ça vient de cette vague d’immigration récente où du coup les gens sentent leur langue un peu menacée, peut être que j’extrapole.
A propos de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en simultané, je ne suis pas pour. Mais c’est ma position. Il est possible d’apprendre le grec, le russe ou le japonais en même temps que l’allemand mais le français, le hongrois et l’allemand ont le même alphabet, ce qui est très confisant pour l’enfant. Je pense que la curiosité pousse l’enfant à avoir envie d’apprendre par lui- même. Ils auront bien assez le temps dans leur scolarité pour apprendre à lire dans les 2 autres langues mais je ne veux pas les surcharger de travail dés les 2 premières années d’école primaire.
Enfin, j’ai noté, mais c’est
J’ai un peu fait la même expérience que toi. Quand mon fils était bébé, on m’a plusieurs fois demandé pourquoi je ne lui parlais pas en allemand et quand j’ai répondu gentiment que je parlais juste à mon bébé dans notre langue et pas dans une langue étrangère, j’ai remarqué que certains n’étaient pas satisfaits de la réponse. J’avais aussi eu des réflexions sur le fait qu’on ne pouvait pas comprendre ce que je disais à mon bébé. Et encore, le français est une langue valorisée socialement mais j’ai entendu des collègues (des gens cultivés, ayant fait des études et étant plutôt ouverts d’esprit) critiquer le fait que des parents turcs installés en Allemagne parlent turc à leurs enfants et donnent des prénoms turcs. Comme si être intégré signifiait appeler ses enfants Lukas et Leonie (très jolis prénoms d’ailleurs) et ne parler sa langue maternelle que chez soi, sans public.
J’ai l’impression qu’il y a cette peur de la non-intégration. Il y a 9 ans, pendant quelques mois, il y a eu une stagiaire française à mon travail et nous nous parlions en français bien sûr. Des collègues sont venus nous le reprocher en nous disant que nous devions nous intégrer et parler allemand.
Pour l’apprentissage de l’écrit, c’est vrai que vous êtes dans une situation trilingue et c’est peut-être mieux d’attendre avant d’introduire les deux autres langues. En même temps, je l’ai vu avec mon fils, il a vite retenu que les lettres et les syllabes se prononçaient différemment en français et en allemand. Au début, avant de lire un texte, il demandait si c’était en allemand ou en français pour savoir quelle prononciation choisir.
Dommage, il manque la fin de ton commentaire. 😉
J’aurais adoré que mon fils parle plusieurs langues… mais nous sommes tous les deux français avec une maîtrise assez approximative de l’anglais (surtout moi) et du coup il apprendra à l’école, mais je sais que ça ne sera pas pareil !
Ce que je peux te recommander pour que ton fils ait un excellent niveau en langues, c’est, quand il sera plus grand, de l’inscrire en filière internationale et de préparer ensuite l’Abibac (bac français et allemand) ou le Bachibac (bac français et espagnol) ou l’OIB. J’ai rencontré de jeunes Allemands qui venaient d’obtenir leur Abibac et ils parlaient un excellent français alors qu’ils venaient de familles germanophones et n’avaient fait que de courts séjours en France.
Nous avons une problématique un peu différente de la votre : notre ainé apprend à l’école (en parité horaire) une langue que nous ne parlons ni l’un ni l’autre (même si mon mari va probablement prendre des cours via son travail à partir de l’année prochaine, mais à mon avis il ne progressera pas du tout au même rythme). Du coup, je trouve très difficile de le soutenir dans cet apprentissage. Pour qu’il ne soit pas complètement coupé de sa deuxième langue cet été, j’ai emprunté des livres CD (avec traduction ou de contes traditionnels) à la médiathèque, et j’ai essayé de mettre régulièrement les CD de comptines que l’on a, mais ça me parait très peu…
C’est compliqué d’aider son enfant à apprendre une langue que l’on ne parle pas. Je l’ai vu avec la 3ème langue de nos enfants (celle de la crèche). Nous ne la parlons pas, j’avais envie de l’apprendre mais je ne trouve clairement pas le temps de le faire et ce n’est pas une langue que j’utiliserais au travail.
Mais c’est le cas de beaucoup de familles. Mes parents n’ont jamais appris de langues étrangères et mes frères et sœur et moi avons quand même appris l’anglais, l’allemand ou l’espagnol. Le soutenir en lui disant que c’est intéressant, qu’il a de la chance de pouvoir apprendre une langue étrangère ainsi est déjà une bonne partie du travail. Est-ce que tu aurais, toi, l’envie et le temps d’apprendre aussi cette langue ?
Dans tous les cas, c’est vraiment une chance pour votre fils d’aller dans une école bilingue et il va probablement rapidement reprendre son papa quand à la prononciation ou lui apprendre des mots. 😉
C’est vrai que c’est un sacré trésor pour tes enfants de parler ces deux langues. Et comme toi, je pense qu’il ne faut pas avoir peur du bilinguisme précoce. Au contraire, dans leur petite enfance, les enfants absorbent les langues facilement… Alors qu’adultes, cela nous demande un sacré effort !
C’est impressionnant à quel point les enfants apprennent vite les langues étrangères. Je l’ai vu avec leur 3ème langue. Mon aîné est arrivé dans cette crèche à deux ans sans en connaître un seul mot et au bout de deux mois, ses éducatrices m’ont dit qu’il comprenait déjà tout ce qu’elles disaient. Il me faut plus que deux mois, même intensifs, pour tout comprendre dans une langue étrangère ! 😉
Chez nous c’est un mélange de français, d’allemand et d’anglais (on regarde tout en VO, y compris les dessins animés). Les enfants s’en accommodent bien. Mais j’avoue céder aux regards réprobateurs et en rester uniquement au français en public.
C’est tellement dommage qu’il y ait encore des gens qui répandent de fausses idées sur le bilinguisme alors que c’est positif pour le développement cognitif des enfants.
C’est une richesse ce bilinguisme… vraiment ! Nous sommes loin d’être bilingue l’HommCostaud et moi, mais Cracotte est très en demande concernant l’apprentissage de l’anglais, du coup j’essaie, tant que faire se peut, de lui apporter des notions…
C’est chouette que Cracotte soit intéressée par l’anglais. Ce qui peut l’aider et l’intéresser, c’est lui passer en anglais un dessin animé ou une chanson qu’elle connaît déjà en français. On s’est amusé à écouter « Libérée, délivrée » en anglais (on a eu une phase pendant laquelle on l’entendait BEAUCOUP en allemand et en français) et bien les deux grands avaient relevé certains mots en anglais.
Bonjour ,famille française depuis 2 ans en Allemagne, je suis plutôt d accord avec toi… sauf que la pratique est différente de mes bonnes intentions.
D abord, les enfants apprennent vite les langues, alors oui, mais les miens ont encore des lacunes, la maîtresse nous a même dit que les autres enfants ne comprenaient pas toujours mon fils (7 ans)…
D autre part, mon fils est très lent à faire ses exercices… alors après avoir travaillé (bataillé) 2 heures par jour pour faire les devoirs,je n ai le courage de nous imposer encore l écriture du français (dont l orthographe est, il faut l avouer moins intuitive que l allemand ). Par contre, on a commencé doucement à lire en français grâce aux petits livres Sam et Julie, adaptés au niveau ‘début de Cp’… motivé aussi par le fait qu’il est plus facile pour nous de lire avec lui.
Donc, chez nous, apprendre à écrire le français ne commencera vraiment que lorsque mon fils sera plus à l aise avec ses devoirs, (il entre en 2e année, j espère un déclic…)
Pour la question de la langue dans laquelle les enfants répondent, cela dépend à quel point vous êtes attachés à ce que l enfant parle la langue : J ai quelques amies d origine asiatique qui répondaient en français à leur parents, qui eux leur parlant en chinois : maintenant, elles ne parlent quasiment plus du tout chinois (mais comprennent toujours).
Tu as tout à fait raison. J’ai écrit un article général qu’il faut ensuite adapter à chaque enfant. Il vaut mieux en effet repousser l’apprentissage écrit du français à un peu plus tard, quand il sera bien plus à l’aise en allemand. Lire des livres avec lui le fait de toute façon déjà travaillé pour l’écrit mais de façon ludique et non conflictuelle, alors c’est l’idéal.
Pour moi, ce n’était pas envisageable que mes enfants ne parlent pas le français et en aient seulement une connaissance passive car ils se seraient coupés de toute ma famille et je tenais à ce qu’ils se sentent tout autant français qu’allemands. Mais ce n’est pas toujours simple et mon fils commence à me répondre en allemand dans le bus car il ne veut pas qu’on pense qu’il est un touriste français de passage à Hambourg. Ça m’énerve… 😉
Merci de cet article intéressant ! J’ai grandi en France avec une mère allemande (maîtrisant le français) et un père français (mais parfaitement à l’aise en allemand, dans un environnement très plurilingue et notamment germanophone. Mes parents ont toujours fait appliquer la règle selon laquelle on parlait préférentiellement la langue de ceux qui nous entouraient, même si l’on ne s’adressait pas à eux. Je dois admettre qu’échanger en français avec ma mère me semblait très bizarre mais aussi que j’aurais maintenant du mal à lui parler allemand devant, par exemple, ma belle-soeur qui ne comprend pas cette langue… Il n’y a sans doute pas de solution idéale dans l’absolu, juste une « meilleure » solution pour une famille donnée et à un instant particulier !
Dans l’absolu, je suis d’accord avec toi. C’est beaucoup plus poli d’agir ainsi pour ne pas exclure la personne qui ne comprend pas la langue. Mais comme nous n’avions, à la naissance de mon aîné que très peu de contacts avec des francophones ici et que j’ai essuyé quelques critiques, je suis devenue assez radicale. 😉 Aujourd’hui, l’habitude est prise et j’ai beaucoup de mal à parler en allemand à mon mari et à mes enfants… alors que je travaille en allemand toute la journée.
En lisant ta dernière phrase, je me suis dit: mais oui, attends c’est aussi ma seule possibilité de parler français au quotidien! C’est pas que pour ma fille en fait 😉
Je n’ai jamais eu de remarques parce que je lui parlais une langue que les gens autour ne comprenaient pas, et les gens trouvent plutôt ça chouette, que ma fille apprenne 3 langues.
Par contre une amie parle allemand avec sa fille parce que son pédiatre lui a préconisé ça… hum comment dire, je préférerais que ma fille apprenne plutôt avec des Muttersprachler qui ne font pas mes fautes?
Honnêtement, ça m’énerve que des pédiatres racontent encore n’importe quoi sur le bilinguisme précoce ! On n’est plus dans les années 60, il faut mettre ses connaissances à la page. Même pour ma plus jeune fille qui a une Sprachstörung, les spécialistes ont été d’accord avec moi que c’était important de lui parler dans les deux langues. Il ne faut pas oublier non plus l’effet psychologique, on ne fait pas passer les mêmes émotions dans une langue étrangère que dans sa langue maternelle.