Si vous êtes déjà allés dans l’ouest hambourgeois, vous les avez vues depuis le métro, le bus ou la voiture. Si vous habitez à Eimsbüttel, vous avez même très vraisemblablement eu un rendez-vous dans l’un d’eux, au Bezirksamt Eimsbüttel (administration de l’arrondissement d’Eimsbüttel). Mais connaissez-vous l’histoire de ces douze Grindelhochhäuser ?

Reloger et loger de nouveaux habitants dans une ville détruite

L’Operation Gomorrha (bombardement de Hambourg en juillet-août 1943) et les bombardements ultérieurs ont été à l’origine de la destruction de 60% des habitations de Hambourg et de la mort de plus de 30 000 habitants. Certains quartiers sont rasés, surtout à l’est de l’Alster.

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A ces Hambourgeois sans toit se rajoutent les Allemands ayant fui les territoires d’Europe de l’Est (Poméranie, Silésie, Sudètes principalement) ou la zone d’occupation soviétique. Entre le 1er mai et le 31 décembre 1945, le nombre d’habitants à Hambourg passe de 1 million à 1,3 million.

Hambourg est située dans la zone d’occupation britannique et est pressentie pour accueillir le quartier général de l’armée britannique. Les officiers britanniques et leurs familles ainsi que tout le personnel du commandement militaire doivent donc être aussi logés. Cet « Hamburg project » suppose que 30 000 Britanniques supplémentaires, personnels militaires comme civils, vont progressivement arriver dans la ville. Les réquisitions de villas et d’immeubles habitables ne peuvent suffire, tandis qu’une grande partie des Hambourgeois habitent dans des taudis ou des logements de fortune (comme les Nissenhütten en acier préfabriqué).

Une rangée de Nissenhütten entre les immeubles détruits
Source

En février 1947, 10% des logements disponibles dans Hambourg sont réquisitionnés par les Britanniques alors que ceux-ci ne représentent que 2% de la population de la ville. Les protestations sont nombreuses et il y a donc urgence à développer un programme ambitieux de construction. Mais où ?

Un quartier central et constructible

Le quartier à l’est de la rue Grindelberg correspond aux critères principaux. Il a été tardivement urbanisé (à partir de la fin du XIXe siècle) et a été fortement touché par les bombardements. Il est de plus bien desservi par les lignes de métro et de tramway.

Les environs de la rue Grindelberg en 1913. Source

Le quartier de Grindel a beaucoup souffert du nazisme et de la guerre, notamment parce qu’il était le quartier juif historique de Hambourg. Quelques rues ont été épargnées et on peut encore admirer les belles villas et les immeubles prestigieux du début du siècle. Mais les rues les plus proches de Grindelberg sont en ruine à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

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Le 12 juillet 1946, la première pierre de ce projet ambitieux et novateur est posée. Douze blocs d’habitations sont prévus pour loger les Britanniques avec tout le confort moderne (salle de bains, place de parking, ascenseur, de grandes fenêtres, etc.). Mais, en janvier 1947, le Hamburg Project est abandonné. Le quartier général de l’armée britannique en Allemagne est finalement installé à Francfort-sur-le-Main. La construction des immeubles est arrêtée. Elle ne reprend qu’en mars 1948 : les appartements seront pour les Hambourgeois.

Les premiers locataires emménagent le 3 avril 1950, les derniers en 1956. En tout, il y a plus de 2000 appartements pour un peu plus de 5000 habitants. Ces derniers sont émerveillés par le confort proposé dans ces immeubles, la salle de bains présente dans chaque appartement est un luxe rare.

Les environs de la rue Grindelberg en 1952. Source

Ces douze blocs sont typiques de l’architecture moderne de l’après-guerre. Pour les années 1950, c’est un projet novateur, ambitieux et très apprécié. Le confort des logements, sa localisation centrale et la présence d’espaces verts, de magasins et de parkings attirent les locataires dans une ville encore marquée par les destructions de la guerre. Les critiques restent peu nombreuses, même si on les compare souvent à de gigantesques machines à laver.

L’ensemble a même sa propre station service, située juste à l’entrée du parking souterrain. Elle a ensuite été désaffectée et accueille désormais une fleuriste.

Dans l’immeuble alloué au Bezirksamt Eimsbüttel, on retrouve un paternoster (une invention hambourgeoise de la fin du XIXe siècle). D’abord perçu comme un progrès, cet ascenseur continu a été ensuite très décrié pour son manque de sécurité. Depuis le covid, on ne peut plus entrer dans le Bezirksamt sans rendez-vous mais il me semble que son paternoster est toujours présent avec seulement un petit panneau précisant que les personnes en fauteuil roulant, avec une poussette ou de faible constitution ne sont pas autorisées à le prendre.

Court reportage de Karambolage sur le paternoster

Une nouvelle jeunesse

Dans les années 1970, les Grindelhochhäuser ont commencé à voir leur réputation se dégrader, parallèlement à leur état général. Les premiers locataires venaient plutôt des classes moyennes favorisées (le loyer était assez élevé), ce n’est plus le cas de leurs remplaçants. Ce qui était un symbole de luxe (l’ascenseur, la salle de bains) est devenu la norme. Ces hauts immeubles ne sont plus le symbole d’une architecture moderne et novatrice mais de grands ensembles décriés.

Une rénovation est engagée à partir des années 1990 et les bâtiments sont classés comme Denkmalschutz (patrimoine culturel) en 2000. La proximité du centre historique et du quartier universitaire, l’îlot de verdure et la bonne desserte en transports en commun ont rendu ces immeubles de nouveau attractifs.

Une vue panoramique sur la ville

Lors des journées du Patrimoine (Tag des Offenen Denkmals), il était possible de rentrer dans l’un des bâtiments et d’avoir accès à la terrasse privative, normalement seulement ouverte aux locataires. C’était l’occasion unique de découvrir l’un de ces immeubles.

La terrasse est située au 14ème étage et est protégée par des baies vitrées fermées. La vue sur Hambourg est ouverte sur tous les côtés et permet d’admirer l’église principale St. Nikolai, le Planetarium (au loin), les quartiers de Grindel, de Harvestehude et de Hoheluft.

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C’était une expérience intéressante qui m’a permis de compléter ma passion pour les vues en hauteur sur Hambourg. La perspective sur les autres immeubles et les quartiers environnants permet de prendre conscience des espaces verts implantés dans ces quartiers.

Vous trouverez davantage d’informations sur l’architecture et des photographies d’archives dans l’article de NDR ou dans celui de la ville de Hambourg.