Il y a 72 ans, Berlin-Ouest connaissait la première crise grave de la guerre froide. Nous sommes le 24 juin 1948. Depuis des mois, les relations sont très tendues entre les quatre puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale. Le territoire allemand est administré en zones d’occupation par les Américains, les Soviétiques, les Britanniques et les Français. La RFA et la RDA n’existent pas encore, la première sera créée en mai 1949 et la seconde en octobre 1949.

Carte des zones d’occupation du territoire allemand.
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La ville de Berlin est divisée en secteurs d’occupation. En 1948, elle compte 3,2 millions d’habitants dont 1,1 million dans le secteur soviétique. Les habitants de Berlin-Ouest sont donc enclavés dans la zone d’occupation soviétique. Les tensions dans la gouvernance quadripartite de Berlin et de l’Allemagne sont de plus en plus fortes et il devient urgent de donner de nouvelles institutions à l’Allemagne.

L’étui à cigarettes d’un soldat allié montrant la division de Berlin en secteurs d’occupation. Source de l’image

L’accès des forces britanniques, françaises et américaines aux secteurs occidentaux de Berlin est possible par les voies terrestres et fluviales (en traversant la zone d’occupation soviétique) et par trois corridors aériens depuis Hambourg, Bückeburg (Hannovre) et Francfort-sur-le-Main. Depuis le début de l’année 1948, les « problèmes techniques » sont de plus en plus fréquents sur les voies ferroviaires et fluviales reliant Berlin-Ouest à la Trizone (les zones d’occupation française, britannique et américaine). Ainsi, le train de nuit reliant Berlin à Bielefeld le 24 janvier 1948 est bloqué par les autorités soviétiques : les 120 passagers allemands sont renvoyés à Berlin, les passagers britanniques obtiennent le droit de poursuivre leur voyage après avoir attendu pendant onze heures. Les tracasseries administratives des autorités soviétiques sont de plus en plus nombreuses pour les trains comme pour les bateaux reliant Berlin-Ouest à la Trizone. Le 2 avril 1948, le général Clay, gouverneur militaire américain, ordonne de tester un transport de marchandises par voie aérienne pour éviter les perturbations liées au transport ferroviaire et terrestre. Ce premier essai de pont aérien est un succès.

Les tensions politiques entre la Trizone et la zone d’occupation soviétique s’aggravent aussi pour des raisons financières. Le Reichsmark est toujours la monnaie utilisée en Allemagne. Mais l’inflation lui faisant perdre sa valeur, il est concurrencé par le franc, le dollar et la livre sterling. Afin de mettre fin au marché noir et à la crise financière, les puissances occupantes introduisent le nouveau Deutsche Mark comme monnaie unique dans la Trizone (le 21 juin 1948) et les secteurs occidentaux de Berlin (le 24 juin 1948). Le Reichsmark est par contre maintenu comme monnaie dans la zone soviétique.

Mais les autorités soviétiques veulent que Berlin-Ouest soit exceptée de cette réforme monétaire et que le Deutsche Mark y soit interdit, afin d’éviter une inflation du Reischsmark et une crise économique dans la zone soviétique. Les autorités de la Trizone refusent. En réaction, l’approvisionnement en électricité de Berlin-Ouest est coupé dans la nuit du 23 au 24 juin, les centrales étant en effet situées dans Berlin-Est et la zone soviétique. Le 24 juin, à partir de 6 heures du matin, le traffic ferroviaire et fluvial vers Berlin-Ouest est totalement interrompu. Seuls les trois corridors aériens permettent aux forces occidentales d’accéder à Berlin-Ouest.

Le général Clay organise le pont aérien (die Luftbrücke), il promet au maire de Berlin-Ouest, Ernst Reuter, que les forces occidentales feront tout pour approvisionner Berlin-Ouest qui devient le symbole de la lutte pour la liberté et la démocratie. Denrées alimentaires, charbon, machines, médicaments et biens de consommation sont transportés vers Berlin-Ouest. Toutes les trois minutes, un avion atterrit à Berlin-Ouest et repart aussitôt pour aller chercher d’autres biens à transporter. Le pont aérien joue un rôle majeur dans la propagande des Alliés contre celle de l’Union soviétique.

L’approvisionnement est, cependant, juste suffisant à Berlin-Ouest. Le manque de charbon et d’électricité ne permet pas de développer une réelle production locale. Le 12 mai 1949, le blocus de Berlin (die Berliner Blockade) est levé par les autorités soviétiques. Les Alliés ont effectué plus de 270 000 vols et 2,1 millions de tonnes ont été acheminées à Berlin-Ouest (67% de charbon, 24% de nourriture). Les denrées alimentaires étaient principalement transportées sous une forme déshydratée (lait en poudre, légumes secs, farine, etc.) pour réduire leur poids. Les avions sont repartis avec un total de 74 tonnes de fret qui étaient en grande partie composés de produits fabriqués à Berlin-Ouest et vendus avec l’étiquette « Hergestellt im Blockierten Berlin » (« fabriqué dans Berlin bloqué »). Plus de 220 000 passagers ont aussi été transportés. Le coût du pont aérien a été énorme. Il a été évalué à 200 millions de dollars pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni. La Trizone a créé un impôt spécial (« Notopfer Berlin) : un timbre fiscal de 2 Pfennig qui devait être ajouté au timbre pour l’envoi d’une carte postale ou d’une lettre. Celui-ci sera en vigueur jusqu’en 1956 et aura permis à la RFA d’obtenir plus de 400 millions de DM entre 1948 et 1956.

Carte envoyée au sein de la Trizone avec le timbre fiscal « Notopfer Berlin » en bleu
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Le blocus de Berlin a aussi eu comme conséquence de modifier les relations entre les peuples. Les Allemands n’étaient plus uniquement renvoyés au passé nazi et à la Seconde Guerre mondiale, ils sont aussi devenus des représentants de la liberté et de la démocratie. Les relations entre la RFA et les Etats-Unis sont devenues extrêmement fortes, les Etats-Unis n’étant plus seulement la puissance victorieuse et occupante mais aussi la puissance protectrice face à la menace soviétique.

Les avions du pont aérien ont été surnommés les « Rosinenbomber » (les « bombardiers de raisins secs ») car les pilotes américains distribuaient aussi des bonbons et des raisins secs aux petits Berlinois. La jeune génération s’est sentie beaucoup plus proche et reconnaissante envers les Etats-Unis que les générations plus âgées, plus sceptiques et ayant connu le nazisme et la guerre.

Le blocus de Berlin a ainsi accéléré un rapprochement entre la (future) RFA et les Alliés de l’ouest, les anciens ennemis sont devenus amis face à l’URSS, ancienne alliée devenue une menace pour la paix et le nouvel ordre international.

Photographie de couverture : Assiette en bronze fabriquée à Berlin en 1948 montrant l’ours de Berlin enchaîné et dans la ville en ruines regardant passer au-dessus de lui les sept « Rosinenbomber » du pont aérien.

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