Cet article est le quatrième sur notre quotidien de parents d’une petite fille (3 ans et demi) porteuse d’une maladie génétique rare, d’une grande fille (6 ans) et d’un grand garçon (8 ans et demi).

Le premier article : Les nuits sans sommeil

Le deuxième article : Le diagnostic

Le troisième article : La fratrie

Le cinquième article : les autres enfants

(4) En pleine pandémie mondiale

L’arrivée du coronavirus en Allemagne a donné lieu à la mise en place d’un ensemble de mesures de distanciation sociale qui sont très proches du confinement appliqué en France, à la seule différence que les déplacements locaux sont encore autorisés sans justificatif. Les crèches, les écoles, les établissements du secondaire et les universités ont fermé le 16 mars… ou plutôt n’ont pas rouverts pour le primaire et le secondaire car nous étions en vacances les deux premières semaines de mars. Un service de garde minimum (Notbetreuung) a été mis en place dans les crèches, les écoles et les établissements du secondaire jusqu’à 14 ans. Pour en bénéficier, les deux parents (ou le parent dans le cas d’une famille monoparentale) doivent travailler dans un secteur indispensable, sans télé-travail, conditions que nous ne remplissons pas. Gabriel et Esther n’ont donc pas vu leur école depuis la fin février.

Maintenir son quotidien

La directrice de la crèche nous a prévenu par mail le vendredi 13 mars que Judith avait droit à une place en Notbetreuung de par son statut d’Integrationskind (enfant en inclusion). Nous avons hésité tout le week-end, pesant le pour et le contre. Le contre était rapidement identifiable : mettre notre fille en contact avec ses éducatrices, d’autres enfants et leurs parents et donc augmenter la probabilité de contracter le virus. Le pour l’était tout autant : garder un rythme quotidien et ne pas la priver d’une crèche où elle adore aller et où elle se sent bien. Elle n’y était déjà pas allée les deux premières semaines de mars et nous avions peur qu’une interruption d’au moins deux mois ne la perturbe et ne rende le retour difficile. Nous avons finalement décidé de la mettre à la crèche. Le premier jour, il y avait… trois autres enfants pour dix éducatrices ! Entre temps, nous sommes passés à 7-8 enfants. Judith est très heureuse d’y aller, elle court sur le chemin et s’est très vite adaptée à ce contexte un peu différent avec si peu d’enfants.

Elle va donc du lundi au vendredi à la crèche, de 9h à 13h30 en moyenne, ce qui est beaucoup plus court que sa journée habituelle de crèche. Nous avions un peu peur de sa réaction, en voyant que Gabriel et Esther restaient à la maison. Mais il n’y a eu aucun souci. Elle leur fait un gros bisou et leur dit au revoir qu’ils restent à la maison ou l’accompagnent sur le chemin de la crèche. Elle nous montre régulièrement le chemin de l’école et était contente quand nous sommes passés devant pendant une balade dans le quartier. A-t-elle compris pourquoi l’école était fermée et pourquoi il y avait si peu d’enfants à la crèche ? Je n’en sais rien.

Il y a eu assez peu de changements dans son comportement. A la crèche, elle est contente de pouvoir explorer tous les recoins, d’avoir plus de place pour jouer sans craindre que d’autres enfants ne la bousculent. Une grande fille de six ans est aussi présente chaque jour (c’est une amie d’Esther) et elle s’occupe beaucoup de Judith et lui confie ses secrets (elle peut être sûre qu’ils ne seront pas répétés). Judith est parfois un peu triste en journée, peut-être parce que les enfants avec qui elle aimait le plus être ne sont pas présents. A la maison, elle dort plutôt bien (elle se réveille seulement entre 5h et 6h du matin…) et est d’humeur constante. Les seuls changements sont qu’elle pleure de temps en temps le soir avant de s’endormir et qu’elle est encore plus câline. Elle nous embrasse tous des dizaines et des dizaines de fois par jour. A table, je suis assise à côté d’elle et elle m’attrape le bras pour l’embrasser ou quand je suis debout, elle prend mes jambes dans ses bras et les embrasse.

Mais s’adapter à un nouveau quotidien

Judith ne parle pas et c’est donc très difficile de savoir ce qu’elle a compris de la situation. Elle ne peut pas exprimer ses inquiétudes, ni poser de questions sur cette situation exceptionnelle. Si elle a par exemple une perte d’odorat ou de goût, nous ne le saurons pas.

Elle n’a plus ses séances hebdomadaires de kiné et d’orthophonie depuis plus d’un mois et demi. Elles devraient reprendre la semaine prochaine mais nous avons, là aussi, hésité car elle sera en contact avec sa kiné et son orthophoniste qui, elles aussi, voient d’autres enfants et d’autres adultes. Finalement, le maintien de ses habitudes, et surtout de ses thérapies, nous est apparu comme primordial.

Depuis plusieurs mois, Judith est dans une phase de grands progrès. D’un point de vue de la motricité, elle est bien plus stable et ne trébuche presque plus. Elle marche bien et la poussette prend la poussière dans le coffre de notre voiture : elle apprécie nos excursions et veut absolument suivre Esther et Gabriel dans leurs investigations. Elle s’entraîne à sauter, notamment sur notre canapé et veut, chaque jour de crèche, faire du vélo (un tricycle à pédales). Elle s’entraîne aussi à mettre ses chaussettes, protestant quand de petits orteils récalcitrants refusent d’y entrer. Elle enlève et remet ses chaussettes une bonne dizaine de fois par jour, poursuivant ensuite avec les chaussons. Elle a récupéré une casquette trop petite d’Esther et adore la mettre en testant toutes les orientations possibles.

Pour la motricité fine, elle mange désormais avec une fourchette et une cuillère (un peu aussi avec les mains) et adore colorier. Elle joue énormément aux legos, construisant des structures qui sont probablement des maisons ou des bateaux.

Nous allons reprendre la langue des signes que nous avions abandonnée devant le peu d’intérêt qu’elle montrait. C’est sa kiné après une longue discussion au téléphone sur ses progrès qui m’a conseillé d’essayer de nouveau. Aujourd’hui, en regardant un livre ensemble, nous avons signé livre, vache, lait, boire, chien, chat, oiseau et elle a tout de suite voulu reproduire les signes que nous faisions. Affaire à suivre !

Nous sommes chanceux que la situation actuelle ne soit pas trop défavorable à Judith et ne soit pas un frein à son développement et à son épanouissement. Je pense beaucoup aux autres enfants, que ça soit ceux de sa crèche qui y retourneront après au moins deux ou trois mois d’interruption et qui devront se réhabituer aux personnes et au lieu, surtout les plus petits mais aussi à tous les autres enfants, privés de leur quotidien pour une raison qui les dépasse, notamment les enfants différents qui ont tant besoin de leur routine pour les rassurer et les aider à se développer.

Photographie de couverture : vue sur la Loire et le vieux canal depuis le pont-canal de Briare (Loiret)