Mon premier contact direct avec l’allaitement a eu lieu lors de mon adolescence, quand j’ai vu ma sœur allaiter ses filles. Ces moments me semblaient paisibles et doux, tant pour la maman que le bébé, et m’ont donné envie plus tard d’allaiter.

Mes trois enfants sont nés en Allemagne, un pays où l’allaitement est la norme. Comme je l’avais expliqué dans l’article sur le premier mois de bébé en Allemagne, la majorité des femmes allaitent (68% des mères vont allaiter exclusivement leur bébé après la naissance et elles sont encore 57% à le faire deux mois plus tard). A quatre mois, 40% des nourrissons sont allaités exclusivement (la durée d’allaitement recommandée en Allemagne est de minimum quatre mois complets, six mois complets de préférence).

L’Allemagne est un pays « stillfreundlich », c’est-à-dire où l’allaitement est vu de façon positive, à la fois par les habitants et par les pouvoirs publics. On y trouve facilement un personnel médical formé et encourageant. Selon la Mutterschutzgesetz (la législation sociale protégeant les femmes enceintes et les mères), une femme allaitante ayant repris le travail avant le premier anniversaire de son enfant a droit à au moins une demi-heure deux fois par jour ou une fois une heure pour tirer son lait voire allaiter, sans perte de salaire bien sûr. Si la femme travaille plus de huit heures par jour, elle a le droit à deux fois 45 minutes ou une fois 90 minutes.

Premier allaitement : un allaitement mixte

Mes grossesses se sont toutes passées en Allemagne et pour ma première grossesse, nous nous sommes inscrits à un cours de préparation à la naissance pour couples. L’allaitement faisait partie des thèmes abordés. Nous nous étions aussi inscrits à un cours sur les soins du nouveau-né (avec aussi des conseils sur l’allaitement) ainsi qu’à un atelier pour tester différentes marques de porte-bébés et des écharpes.

A la maternité, les infirmières sont venues m’aider à débuter l’allaitement en me conseillant sur la position à adopter et l’attention à apporter à sa poitrine. Elles m’ont ainsi conseillé de changer les coussinets d’allaitement dès qu’ils étaient humides, d’appliquer une crème protectrice avant et après chaque tétée (de la lanoline) et d’utiliser des bouts de sein en silicone dès que des douleurs apparaîtraient lors d’une tétée. J’ai toujours scrupuleusement appliqué ces conseils et n’ai jamais eu de crevasses ou d’autres soucis. La seule tétée extrêmement douloureuse a été… quand mon fils m’a mordue au sang.

A la maternité, il y avait aussi une Stillraum, une pièce réservée à l’allaitement, interdite aux visiteurs. Elle était située en face du bureau des infirmières et nous pouvions les appeler pour qu’elles viennent nous aider. La pièce était agréable et comportait aussi de l’eau, des coussinets, de la crème de lanoline, de quoi changer le bébé et plusieurs fauteuils confortables avec des coussins d’allaitement. Les tire-laits étaient aussi dans cette pièce. Une infirmière y était presque toujours présente pour vérifier que la mise au sein se passait bien et répondre aux éventuelles questions.

A la naissance de mon aîné, cela ne faisait que deux ans que j’habitais à Hambourg et je n’avais pas un grand cercle amical ici. Mon mari était encore étudiant et nous avions donc décidé que je reprendrais le travail à 30% quand notre fils aurait presque quatre mois et que son papa le garderait deux matinées par semaine. J’avais besoin de retrouver un quotidien avec des adultes et n’imaginais pas être pendant un an à la maison avec mon bébé. Notre organisation a pu choquer certains de mes collègues car elle est inhabituelle. Le congé parental est en effet très bien indemnisé et les jeunes mères restent en général un an à la maison. J’avais donné plus de détails sur le post-partum et le congé parental allemand dans cet article !

Je n’avais pas d’idée préconçue sur la durée de mon allaitement. Un mois ? Deux mois ? Six mois ? A partir du troisième mois, nous avons commencé à habituer notre fils à prendre un biberon de lait maternel le midi, en prévision de ma reprise du travail. Les débuts ont été très laborieux, jusqu’à ce que l’on trouve la marque de biberon qui lui a tout de suite plu. Je tirais donc mon lait en semaine afin de prévoir les biberons qu’il prendrait pendant mes deux demi-journées de travail et le reste du temps je l’allaitais. Vers cinq mois, nous avons remplacé le biberon de lait maternel par du lait infantile. La transition s’est faite sans souci et j’ai commencé peu à peu à sevrer mon fils en journée. Il a aussi très bien accepté la diversification et était très demandeur de découvrir de nouveaux goûts.

Je suis allée deux fois dans un Stillgruppe, un groupe de femmes allaitantes mais je ne me suis pas sentie à l’aise car nous étions sensées allaiter ensemble mais mon bébé n’avait pas forcément envie de téter pendant les séances. Mais d’autres mamans que j’ai rencontrées ont beaucoup apprécié ces groupes où elles pouvaient aussi poser toutes leurs questions sur l’allaitement et la croissance du bébé.

Si je me souviens bien, mon fils a été complètement sevré en journée à un an. J’avais seulement gardé la tétée-câlin du soir avant de le coucher et j’ai arrêté celle-ci suite à un déplacement professionnel de plusieurs jours quand il avait 18 mois. Nous avions le projet d’agrandir la famille et, je ne sais pas pourquoi, je ne m’imaginais pas allaiter tout en étant enceinte.

Deuxième allaitement : un allaitement exclusif

Ma cadette a presque trois ans de différence avec son grand-frère et mon premier allaitement avait cessé un ou deux mois avant que je ne tombe enceinte pour la deuxième fois.

Autant mon aîné était un bébé tranquille pour téter et pouvait prendre une heure pour assouvir sa faim, autant ma cadette a toujours été un bébé efficace. Elle tétait en un quart d’heure sans somnoler ni rêver et s’endormait éventuellement une fois la tétée terminée.

Notre situation professionnelle avait changé et j’ai donc choisi de prendre le congé parental allemand et de rester à la maison avec ma fille jusqu’à son premier anniversaire. L’allaitement s’est mis en place rapidement, sans difficulté ni douleur particulières. J’étais retournée dans la même maternité et avais retrouvé la Stillraum et certaines infirmières que j’avais déjà rencontrées pour mon aîné m’ont reconnue.

Les six premiers mois ont été ceux de l’allaitement exclusif, sans biberon ni lait infantile. Les tétées se passaient bien… mis à part celle pendant laquelle ma fille m’a mordue (mais je n’ai pas saigné cette fois-ci…). J’ai voulu commencer le sevrage une fois qu’elle a eu six mois révolus mais… ma fille a refusé le lait infantile. Le biberon n’était pas forcément un problème mais elle a clairement remarqué une différence de goût qu’elle n’a pas appréciée. Elle a testé trois marques… trois refus !

J’ai donc continué à l’allaiter tout en développant la diversification qui l’intéressait beaucoup. Au fur et à mesure des semaines, les tétées en journée se sont espacées et quand elle a eu un an, nous sommes passés au lait de vache bio dans une tasse en journée.

Comme je ne m’imaginais toujours pas allaiter tout en étant enceinte, la dernière tétée (celle du soir) a été arrêtée vers 18 mois. Il me semble que pour elle aussi, l’arrêt a coïncidé avec un de mes déplacements professionnels.

Troisième allaitement : un allaitement court

A la naissance de notre petite, il était très clair pour moi que je l’allaiterais, comme son frère et sa sœur. J’avais de nouveau pris le congé parental d’un an et j’étais confiante, ayant déjà deux allaitements réussis (de mon point de vue) derrière moi.

Mais assez vite, les difficultés sont apparues. Notre petite perdait du poids et ne réussissait pas à récupérer son poids de naissance. La sage-femme était inquiète et m’a proposé de compléter par des biberons si possible de lait maternel. Seulement, tirer son lait toutes les deux heures pour stimuler la lactation tout en s’occupant d’un nourrisson, d’une petite fille de deux ans et d’un grand garçon de cinq ans était compliqué. Mon mari travaillait beaucoup à l’époque et rentrait rarement avant 21h00 et je n’arrivais pas à gérer tous ces éléments de front.

Nous avons donc décidé de compléter les tétées par des biberons de lait infantile et notre benjamine a cessé de perdre du poids, sans pour autant en reprendre. Elle avait beaucoup de mal à téter et s’endormait rapidement au sein. Nous apprendrons par la suite qu’elle souffrait d’une forte hypotonie (insuffisance du tonus musculaire causée par sa maladie génétique), qu’elle s’épuisait à téter et s’endormait donc avant d’avoir assez bu.

Un après-midi, elle a beaucoup dormi et avait des petits tremblements et je suis allée aux urgences pédiatriques avec elle. Je pensais en ressortir une à deux heures plus tard avec quelques conseils… nous sommes restées dix jours ! Les médecins étaient très inquiets par le fait qu’elle n’ait toujours pas rattrapé son poids de naissance (à presque un mois) et qu’elle somnole beaucoup. Elle a donc été d’abord nourrie par une sonde dans le nez afin de lui faire reprendre des forces sans la fatiguer. J’ai continué à l’allaiter mais il fallait que je la pèse avant et après chaque tétée afin de pouvoir noter combien elle avait bu. Tirer mon lait était peu efficace du fait du stress de la situation et l’allaitement a peu à peu laissé la place au biberon. Nous avons pu sortir de l’hôpital quand elle a dépassé son poids de naissance, elle venait d’avoir un mois. Le retour à la maison a signifié aussi la fin de l’allaitement.

J’ai un peu regretté mais j’ai surtout été pragmatique. Je ne pouvais pas mettre en place des séances de tire-lait régulières tout en m’occupant à temps plein des deux grands (notre sortie d’hôpital a coïncidé avec les deux semaines de fermeture annuelle de la crèche). La petite a bien accepté ses biberons et a pris ensuite régulièrement du poids. La diversification a été compliquée à mettre en place car elle l’a refusée jusqu’à ses dix mois. Puis, elle s’y est faite rapidement, les morceaux posant peu de problèmes.

Bilan

J’ai beaucoup aimé allaiter… mais pas en public. J’ai le plus souvent allaité allongée sur mon lit. Une collègue m’avait conseillé de proposer au grand frère et à la grande sœur de nous rejoindre s’ils le souhaitaient. J’ai allaité la cadette avec très souvent l’aîné à côté de moi qui mettait de la musique pour sa petite sœur et les tétées puis les biberons de la benjamine ont souvent été accompagnées d’histoires que la cadette lui racontait.

Quand je devais allaiter hors de chez moi, j’avais toujours un grand foulard léger qui couvrait ma poitrine et mon bébé des regards indiscrets. J’ai finalement bien vécu l’arrêt rapide de mon troisième allaitement, probablement parce que c’était la solution la plus pratique à ce moment-là et parce que j’avais bien profité de l’allaitement des deux grands.

L’allaitement a été une belle expérience pour moi et mes enfants, ainsi que pour mon mari qui lui était aussi très favorable.

Photographie de couverture : deux clochers du Heiligen-Geist-Hospital à Lübeck