Le système éducatif allemand a beaucoup de qualités et est très bienveillant vis-à-vis des enfants. Il est souvent vanté en France mais on ne parle que des aspects positifs, les aspects plus négatifs sont en général passés sous silence.

Dans le numéro du mois de décembre, la revue hlz (la revue hambourgeoise du syndicat de l’enseignement GEW) consacre sa couverture et un article (en page 9) au Professor Uğur Şahin, médecin spécialisé en oncologie. Il est allemand, d’origine turque et est arrivé en Allemagne à l’âge de 4 ans pour y rejoindre, avec sa mère, son père qui travaillait dans une usine Ford. Avec sa femme, médecin et elle aussi d’origine turque, Özlem Türeci, ils ont fondé en 2008 le laboratoire BioNTech, spécialisé dans la recherche et le développement d’immunothérapies contre le cancer et de vaccins contre les maladies infectieuses. En novembre 2020, leur laboratoire a annoncé avoir mis au point, avec la collaboration du laboratoire américain Pfizer, un vaccin contre le covid19. Une immense fierté nationale, notamment pour la minorité turque ! Lien vers l’article (page 9).

La couverture reprend une citation qui est attribuée au Professor Şahin : « Mon professeur voulait que j’aille en Hauptschule. C’est seulement par l’intervention de mon voisin allemand que j’ai pu aller au Gymnasium. » La Hauptschule est un type d’établissement scolaire comportant des classes jusqu’à la 9ème voire la 10ème (3ème voire seconde) et destinant ensuite ses élèves à une formation professionnelle. Le Gymnasium est l’équivalent du collège-lycée et l’objectif est davantage d’y préparer les élèves à l’Abitur (baccalauréat) puis à des formations post-bac (université, Hochschule, Berufsakademie). La Hochschule peut être rapprochée des écoles d’ingénieurs, des écoles des Beaux-Arts, des écoles de commerce. La Berufsakademie est plus proche des formations professionnalisantes post-bac comme les BTS, les DUT, les licences pro.

Lire l’article : Le système scolaire allemand (Hambourg) : le secondaire

En Allemagne coexistent donc plusieurs types d’établissements du secondaire, et certains ne sont pas présents dans tous les Bundesländer ! Ainsi, on peut retrouver la Hauptschule, la Realschule, la Gesamtschule, la Stadtteilschule et le Gymnasium. La Stadtteilschule est, par exemple, un établissement que l’on retrouve uniquement à Hambourg et qui remplace la Hauptschule, la Realschule et la Gesamtschule et dans lequel il est possible de préparer l’Abitur (baccalauréat) avec une scolarité durant une année de plus qu’en Gymnasium. Des passerelles existent entre les différents établissements et un(e) élève de Hauptschule avec de bons résultats peut espérer intégrer une Gesamtschule au début du cycle de quatre ans préparant à l’Abitur mais les cas sont malheureusement rares.

Il y a clairement une hiérarchie entre ces établissements du secondaire, le Gymnasium étant la voie royale pour entrer à l’université mais aussi le seul type d’établissement proposant des filières prestigieuses, comme l’Abibac ou le Bac international. Le système éducatif dépendant des Länder, il varie dans sa structure et ses programmes selon les régions. Je vais donc me concentrer sur l’exemple de Hambourg.

A la fin de la dernière année de primaire, il y a une première orientation des élèves. A Hambourg, la 4. Klasse (CM1) est la dernière année du primaire et les enseignants, selon la maturité de l’enfant et ses résultats scolaires, recommandent le passage en Stadtteilschule ou en Gymnasium mais les parents restent maîtres de la décision. Les enfants intègrent déjà cette hiérarchisation entre Stadtteilschule et Gymnasium, les seconds se sentant valorisés par rapport à leurs camarades de Stadtteilschule.

C’est une sélection qui est donc faite extrêmement tôt (à 10-11 ans) et qui va fortement influencer l’avenir professionnel de l’enfant. En effet, à Hambourg, une orientation en Stadtteilschule ou en Gymnasium fait intervenir aussi d’autres critères. Ainsi, alors que 22,8% des élèves hambourgeois viennent de quartiers défavorisés à très défavorisés, ils sont 30,8% à être orientés en Stadtteilschule mais seulement 12,2% en Gymnasium. De la même façon, 17,8% des élèves hambourgeois viennent de quartiers très favorisés mais il ne sont que 10,5% en Stadtteilschule contre 28% en Gymnasium.

Source : l’origine sociale des élèves selon les types d’établissements scolaires en 2019-2020

Cette différenciation sociale se retrouve aussi quand on prend le critère de l’immigration. A Hambourg, 51% des élèves ont donc au moins un de leurs parents qui n’est pas de nationalité allemande ou qui est devenu allemand par naturalisation. Ce critère regroupe bien sûr des situations très différentes mais on retrouve là aussi une différence entre les élèves de Stadtteilschule (58%) et ceux de Gymnasium (41,7%).

Source : Part des élèves avec et sans parent issu de l’immigration en 2019-2020

Enfin, en fin de 6. Klasse (6ème), les élèves de Gymnasium ayant une moyenne annuelle de 5 dans une matière principale (ce qui équivaut à un 07-08/20) sont réorientés en Stadtteilschule (le redoublement étant exceptionnel). Pour l’enfant, c’est une énorme déception, une grande frustration : il est exclu de l’établissement où il était depuis deux ans, il perd ses amis, ses repères au quotidien et intègre un nouvel établissement avec ce sentiment d’échec personnel : il n’était pas assez bon pour rester au Gymnasium.

Beaucoup d’enseignants de Gymnasium sont convaincus d’offrir ainsi une bonne solution à l’élève car celui-ci aura la possibilité de passer l’Abitur (bac) en 13. Klasse et travaillera selon un rythme plus lent, avec probablement davantage de soutien. En effet, au Gymnasium, on passe l’Abitur en 12. Klasse, soit une année auparavant. Dans les deux cas, il s’agit du même Abitur.

Le système éducatif allemand (hambourgeois), malgré toutes ses qualités, m’apparaît trop sélectif voire élitiste. Trop tôt et selon des critères trop stricts (les notes) ! Combien d’enfants n’ont, à 11 ou à 13 ans, pas la maturité ou le soutien parental pour travailler régulièrement et assimiler de nouvelles notions ? Les indicateurs de valeurs ajoutées ne sont pas pris en considération. Or, tous les enfants ne commencent pas en 1. Klasse (CP) avec la même culture scolaire, la même valorisation familiale de l’école, la même pratique de la langue allemande.

Quel accueil est réservé à l’enfant exclu de son Gymnasium en fin de 6. Klasse par les élèves de Stadtteilschule ? Quelles conséquences cette sélection a-t-elle sur l’image de soi et la confiance en soi d’adolescents en pleine construction de leur personnalité ? Même si le collège unique à la française a beaucoup de défauts et de dysfonctionnements, je lui trouve le mérite de garder les enfants ensemble jusqu’à la fin de la troisième et de n’envisager une orientation professionnelle qu’à partir de ce moment.

Si cette histoire du voisin allemand intervenant dans la scolarité du jeune Uğur Şahin est vraie, ce dernier a eu beaucoup de chance car une orientation en Hauptschule ne lui aurait très vraisemblablement jamais permis de devenir médecin.