Nous sommes un couple binational, je suis française et mon conjoint est allemand. Entre nos contacts au sein de la communauté française (expatriés et Français installés ici), la crèche bilingue des enfants et le quartier où nous vivons, nous avons beaucoup de couples binationaux parmi nos amis et nos connaissances.

Et là, prise de conscience ! Chez les couples expatriés, c’est l’homme qui a le contrat d’expat’ et la femme qui suit et chez les couples binationaux germano-quelque chose d’autre, l’homme est allemand et la femme est étrangère. J’ai cherché quelques statistiques pour voir si mes observations se confirmaient ou s’infirmaient et… je n’ai rien trouvé sur la résidence des couples binationaux !

Par contre, pour les expatriés français (quelque soit le pays d’expatriation), les conjoints accompagnateurs sont à 91% des femmes. Les femmes partant avec un contrat d’expatriation sont autour de 15% mais un certain nombre sont célibataires ou bien le conjoint décide de ne pas suivre, surtout si les enfants sont adultes. Au passage, l’expatriation est un vrai accélérateur de carrière. Les postes de direction dans une entreprise ne sont en général proposés qu’à des employés ayant déjà au moins une expérience à l’international. Le plafond de verre vers les postes de direction pour les femmes se renforce aussi par le moindre accès à l’expatriation.

L’homme est en général envoyé par la société pour laquelle il travaillait déjà en France (ou ailleurs) ou va travailler pour une filiale, un sous-traitant, etc. Il va donc évoluer dans une ambiance internationale dans laquelle l’anglais est la langue de travail et la langue du pays sera peu pratiquée. J’ai ainsi rencontré lors de mes voyages des expatriés qui, même après plusieurs années de séjour, étaient incapables d’aligner trois mots dans la langue du pays où ils résidaient. Pour leurs femmes, trouver un travail relève du parcours du combattant. Le déménagement, la recherche de l’appart, de la crèche et de l’école pour les enfants, les démarches administratives vont souvent être les taches ingrates à accomplir pendant que monsieur découvre son nouvel environnement de travail et s’y implique fortement. Certaines entreprises proposent des services de relocation mais c’est de moins en moins le cas. Selon les pays, ces démarches sont plus ou moins facilement réalisables en anglais et il va falloir souvent apprendre la langue locale pour réussir à s’en sortir. Une fois tous ces écueils surmontés, la question se pose pour la femme de l’expat’ de chercher ou non un emploi. 80% des conjointes veulent travailler, d’autant plus que les femmes ont pour 72% d’entre elles un diplôme universitaire au moins équivalent au master et parlent plusieurs langues… Mais seulement la moitié en trouvera un… Trouver un poste sur place suppose en général de parler la langue locale en plus de l’anglais, de s’adapter à un marché local, à une éventuelle non-reconnaissance des diplômes (notamment dans les professions médicales). Pour celles qui réussissent à trouver, seulement la moitié trouvera un temps plein. Pour 47% d’entre elles, il y aura une régression de salaire (par rapport à l’emploi occupé avant l’expatriation), pour 32% une réduction du périmètre du poste et pour 28% une baisse au niveau hiérarchique. Ça fait tout de suite moins rêver !

Pour celles qui ne trouvent pas d’emploi ou ne souhaitent pas en chercher (souvent parce que les enfants sont petits), les années d’expatriation de l’homme vont signifier un trou de quelques années dans leur CV difficilement valorisable, à moins d’avoir appris une langue étrangère valorisée socialement et économiquement, repris des études (dans des universités locales ou par le télé-enseignement), d’avoir créé une entreprise localement ou d’avoir eu un engagement associatif très intense. Même problème pour la retraite !

Parmi mes amies expat’, la grande majorité ne travaille pas et celles qui ont un emploi l’ont souvent trouvé par la communauté française ou un réseau de mamans expatriées. Le cliché de la femme expat’ qui joue au bridge dans des hôtels de luxe avec ses copines expat’ en attendant que son chauffeur vienne la chercher est malheureusement (ou heureusement !) faux ou en tout cas ne se vérifie pas du tout dans les pays européens. Ici, mes amies passent leur temps en voiture à conduire leurs enfants à l’école internationale ou à l’école française (s’il y en a une), à chercher des associations sportives dans lesquelles le prof parle au moins anglais voire français, à traverser la ville pour aller voir le seul pédiatre parlant français, à aller entre temps à leurs cours d’allemand, etc. Tout ça avec un mari qui va énormément travailler et être souvent en déplacement en France ou ailleurs !

Dans l’enquête, 62% des conjoints suiveurs pensent que l’expatriation a été mauvaise pour leur carrière mais 86% estiment que l’expatriation a été globalement quelque chose de positif. Il est vrai que celle-ci a aussi des points positifs comme l’ouverture à d’autres cultures, la rencontre avec des personnes différentes, le fait de faire une pause dans un rythme métro-boulot-dodo (pour celles qui ne travaillent pas) et de pouvoir passer plus de temps avec ses enfants et aussi la grande solidarité que l’on vit dans une communauté française à l’étranger (je suis peut-être un peu angélique, cette solidarité n’existe peut-être pas partout).

À coté des expatriés (qui repartiront tôt ou tard), il y a aussi les couples binationaux installés de façon plus pérenne. Là, on retrouve la génération Erasmus ! Je plaide coupable… J’ai rencontré mon conjoint lors de son Erasmus en France. Au doigt mouillé, je dirais que la grande majorité de nos amis en couple binational se sont rencontrés lors d’échanges universitaires ou de stages à l’étranger. Il y a le couple franco-polonais qui s’est rencontré en cité U en Italie, les franco-allemands qui se sont rencontrés en France, en Allemagne ou plus original en Lettonie, en Belgique ou au Portugal, l’Allemand marié à une Belge rencontrée lors d’un stage commun en Écosse, etc. Cette amie japonaise venue à Munich apprendre l’allemand et qui a eu le coup de foudre dans son école de langue pour un Russe qui apprenait aussi l’allemand… De belles histoires d’amour, de rencontres culturelles, de mélange improbable de saveurs gastronomiques, de religions, de langues et d’us et coutumes !

Mais en général, les couples que nous rencontrons en Allemagne sont constitués d’un Allemand et de sa femme étrangère. Je n’ai pas trouvé d’articles sur ce sujet (si vous en connaissez, ça m’intéresse beaucoup) mais j’ai l’impression qu’à niveau de vie égal, la femme part vivre dans le pays de son conjoint. Parmi nos amis, il n’y a que deux couples dans lesquels « l’étranger » est l’homme. Même s’ils se sont rencontrés ailleurs qu’en Allemagne, les couples que nous connaissons ont fini par venir vivre en Allemagne.

C’est aussi notre cas. Nous nous sommes rencontrés en France, j’avais déjà fini mes études et je travaillais, mon conjoint était en Erasmus. Une fois son année finie, il est reparti en Allemagne et la question s’est posée de notre avenir commun. Après une année à distance, je suis venue vivre en Allemagne. À l’époque, nous n’avions pas d’enfants, j’en avais assez de la région parisienne, j’avais envie de bouger et l’expatriation (provisoire) me tentait bien. De plus, ses études ne donnant pas lieu à beaucoup d’équivalences côté français, il lui aurait fallu reprendre ses études quasiment à zéro. Je suis donc arrivée en Allemagne, persuadée que nous y vivrions quelques années et qu’ensuite, nous reviendrons en France, à Strasbourg, une ville très agréable et à la frontière. Dix ans plus tard… je suis toujours ici et il est peu probable que nous en partions à court ou à moyen terme. J’ai rapidement trouvé du travail dans ma branche mais mon projet de reconversion professionnelle s’est évaporé car il n’y a pas d’équivalence et il me faudrait reprendre des études à temps plein ici pendant au moins trois ans… Je travaille dans une entreprise allemande, je suis la seule à ne pas être allemande et, même si je parle couramment allemand, je n’ai pas le même niveau que dans ma langue maternelle.

La langue est d’ailleurs un autre sujet qui me passionne. Je suis une défenseure acharnée du bilinguisme, c’est une telle chance pour les enfants d’avoir deux (ou plus) langues maternelles, de pouvoir passer aussi facilement et spontanément de l’une à l’autre. Or, ce que je constate autour de moi, c’est que le conjoint allemand n’apprend pas toujours la langue de sa compagne. Les couples où les deux parlent couramment la langue de l’autre sont minoritaires (là aussi, je n’ai pas trouvé de statistiques, si vous en avez, ça m’intéresse). En général, la femme a appris l’allemand et parle allemand avec son conjoint tandis que le conjoint se débrouille en français mais pour des conversations simples. Pour des conversations plus sérieuses, il faudra repasser à l’allemand. Deux couples utilisent une autre langue entre eux : l’anglais pour l’un (lui allemand, elle française, ils se sont rencontrés en expatriation à Singapour) et l’italien (nos amis franco-polonais qui se sont rencontrés en Erasmus en Italie). La langue du couple est donc l’anglais ou l’italien et chacun parle ensuite sa langue aux enfants et repasse par l’anglais ou l’italien pour traduire à l’autre parent si c’est nécessaire. Les raisons invoquées pour ne pas réellement apprendre la langue de sa compagne sont souvent le manque de temps, l’absence de don pour les langues, le fait de vivre en Allemagne, etc.

C’est là où mon côté féministe se hérisse. Parler sa langue maternelle est quand même plus simple, plus reposant, plus affectif. Devoir toujours utiliser une langue étrangère pour parler à son conjoint quand celui-ci peut simplement utiliser sa langue maternelle me donne ce sentiment d’inégalité dans le couple. L’un a clairement le privilège de vivre dans son pays et de parler sa langue maternelle quand l’autre doit faire des efforts pour s’adapter, accepter de quitter son cercle familial et son premier cercle amical et doit faire l’effort en permanence de parler une langue étrangère. Pourquoi l’une a fait l’effort d’apprendre la langue de l’autre si l’autre ne fournit pas le même effort ? Je généralise, je sais qu’il y a aussi des hommes qui apprennent la langue de leur femme et des femmes qui n’apprennent jamais la langue de leur conjoint mais c’est ce que j’ai constaté autour de moi. Les deux couples qui utilisent une troisième langue m’ont dit aussi que c’était une façon de mettre les langues à égalité en plus de maintenir la langue dans laquelle leur relation s’est construite.

Enfin, pour le bilinguisme des enfants, c’est compliqué aussi si l’un des parents ne comprend pas la langue de l’autre. Comment transmettre sa propre langue ? Comment motiver ses enfants à travailler le français à l’oral et à l’écrit dans un environnement germanophone si même le papa (ou la maman) n’a jamais appris le français ? Si la langue de communication de la famille est de toute façon l’allemand alors que déjà tout l’environnement est allemand ? Je trouve ça triste quand je vois des enfants (ou des adultes) n’ayant jamais réellement appris l’une de leurs langues maternelles, la parlant suffisamment pour les vacances mais étant incapables d’avoir une conversation suivie ou d’écrire cette langue.

Et vous ? Qu’en pensez-vous ? Comment vivent les couples binationaux ou les expatriés que vous connaissez ?